Souvent, très souvent, je propose à mes jeunes patients lors de la première ou seconde séance, de faire avec eux un "petit" arbre généalogique -je dis "petit" puisque nous nous arrêtons aux grands-parents et leurs descendants. D'une part cela nous permet de faire connaissance à partir d'un support souvent vécu comme tranquille et léger voire amusant, et cela me permet à moi de saisir quelque peu l'ambiance familiale, de "voir" comment l'enfant s'y retrouve, ce qu'il sait de sa propre famille etc.
Je ne sais plus si moi à 10 ans je connaissais les prénoms de mon grand-père et de ma grand-mère maternels. Ils s'appelaient respectivement "papa" et "maman". Je crois seulement savoir que ma mère a "appris" que son père avait un prénom vers 11-12 ans (ses parents s'appelaient "papa" et "maman" vous ai-je dit). Toujours est-il que beaucoup d'enfants ne connaissent finalement que peu de choses sur leurs grands-parents, ni leurs prénoms, ni la profession qu'ils ont exercée ou exercent encore. Quant aux "histoires" familiales, beaucoup sont très démunis aussi. Et pourtant, qu'elles sont importantes, les histoires familiales !
Dernièrement, j'ai reçu un garçon de dix ans quelque peu perdu...à l'école. Lecture déficiente, écriture n'en parlons pas. Comportement agressif. A la maison il semble que ça se "passe" bien, mais à l'école c'est la cata ! Rien à voir avec l'arbre généalogique et pourtant ! Ce jeune garçon semble incapable de se repérer dans sa famille. Entre autre il me parle d'une sœur à lui, dont le père serait son propre père mais la mère... sa grand-mère maternelle. ??? Vous comprenez mon étonnement. Mais si, je vous dis, c'est ma sœur. Mais ce n'est pas la sœur de maman que je vous dis. Je n'y comprenais plus rien. Une sœur qui aurait pour sœur la mère et pour mère la grand-mère et pour père le mari de la mère. Mais on la voit jamais. Elle vient jamais à la maison.
Renseignement pris (auprès de la maman)... Cette "sœur" est bien sa sœur (au jeune garçon) mais comme elle est et depuis très longtemps fâchée avec leur père et réciproquement, elle a déserté la maison à 12 ans (avant même la naissance du garçon) et habite chez leur grand-mère maternelle -d'où le fait que ce garçon pensait que sa mère était sa grand-mère. Oui, je sais, c'est alambiqué, comme histoire, mais elle est vraie.
Une séance mère + enfant, pour "expliquer" tout cela, a remis les choses dans l'ordre sur le plan scolaire... Ce qui ne m'étonne qu'à peine, d'ailleurs. En fait ce garçon était envahi par ce questionnement quasi obsessionnel concernant sa sœur et l'histoire familiale. Je l'ai bien compris lorsqu'il m'a dit qu'il avait très peur parce que bientôt il allait avoir 12 ans !
A partir d'un support banal, l'enfant peut ainsi remonter l'histoire -l'Histoire, même, avec un grand H- de sa famille et donc la sienne propre. Je n'ose pas parler de psycho-généalogie, sinon à toute petite échelle, mais il s'agit d'ouvrir des portes sur des questionnements retenus, des imprécisions parfois handicapantes, et je ne parle même pas des "secrets de famille" (à propos desquels Serge Tisseron vient d'ailleurs de consacrer un ouvrage ("Les secrets de famille", PUF -Que sais-je)...
Le plus souvent, les enfants privés de leur histoire ne le sont pas volontairement, mais le "manque" d'histoire peut parfois amener des troubles de la personnalité ou du comportement. Adultes, nous sommes d'ailleurs souvent à la recherche d'anecdotes quant à notre enfance, que les échanges en réunion de famille nous rapportent parfois avec sourire.
L'histoire, les histoires, l'Histoire et son enseignement, ont une vertu fantastique : celle de nous faire appréhender que nous ne venons pas de n'importe où ni de n'importe qui, celle de nous amener à comprendre les enchainements, les liens de cause à effet, et celle au final de nous permettre de nous construire la nôtre, d'histoire. Celle de nous enraciner dans la vie, tout simplement.
A une copine de classe de ma fille , je posais cette banale question " vous êtes combien de frères et soeurs "?
RépondreSupprimerelle marque un temps d'arrêt ...réfléchis un peu et me dit " 21 "
Et bien , ça fait du monde : famille recomposée , je ne sais qui faisait vraiment partie de sa famille
Tu sais combien il est important pour moi de raconter ses fameuses histoires , d’appeler les ancètres par leur prénom ( je ne change pas les noms des personnes décédées par un pseudo )
Pour se construire une histoire , il faut connaitre sa propre histoire , ah oui !!
J'avais 57 ans lorsque j'ai osé demander à mes parents si je pouvais voir leur livret de famille. Mon père me l'a tendu avec ces mots "tu sais, il y en a eu un avant toi !"
RépondreSupprimerEffectivement, je suis née dix mois après la mort de mon frère qui avait lui-même onze mois lors de son décès. Ce bébé a été complètement occulté : toutes les photos ont disparu, personne n'allait sur sa tombe, personne ne prononçait son nom.
Je suis devenu prof de maths pour faire plaisir à mon père, seul moyen possible que j'ai trouvé pour quêter son amour. En maths, on ne se pose pas de questions, par contre je n'ai jamais rien compris aux sciences expérimentales et je ne sais toujours pas ce qu'est une problématique !
Mes parents avaient peur de me traumatiser ... j'aime les cimetières, j'aurais aimé être assistante funéraire alors qu'ils sont terrorisés par la mort, ils sont juste "bien fatigués".
Très touchante histoire que celle de ce petit garçon (et hallucinante aussi, l'enfant fâchée à 12 ans avec son père et inversement , au point de se barrer !!!!!!???? )
RépondreSupprimerUn arbre généalogique, je n'imagine même pas le bazar pour faire le mien..
Vers 9/10 ans mon beau-père m'a balancé un jour de beuverie que mon père décédé n'était pas mon père biologique...sympa...
Touchante histoire! je crois que je serais incapable de faire même un petit arbre du côté de ma mère, je ne connais même pas les prénoms de mes grand-parents... Faudrait que j'essaye de le faire faire à mes enfants...juste pour voir!!! Bises
RépondreSupprimerGreat readingg this
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