On a parfois fait comparaison entre le développement de l'Homme / l'Humanité et le développement de l'homme : être humain au cours de sa vie. L'humanité est née nue, ne savait pas grand chose (encore que survivre dans un monde hostile devait demander bien des "connaissances"), a appris au cours de son évolution etc... comme le petit d'homme qui nait nu, grandit et apprend davantage chaque jour.
Les experts nous disent que l'homme s'est redressé peu à peu, l'enfant apprend à marcher vers un an (enfin, c'est l'aboutissement d'un long apprentissage). Le développement du langage chez l'Homme et chez l'enfant suit la même voix... Bref, on peut comparer le développement de l'Homme à celui de l'homme.
Voilà voilà, ne vous impatientez pas, j'en arrive au fait :
Cet été, au cours d'une visite de l'impressionnant site néolithique de Filitosa, en Corse, j'ai pris conscience d'un "truc" : Le guide nous apprenait que ces hommes préhistoriques s'étaient à un moment sédentarisés, et étaient passé de la cueillette et la chasse à la culture et à l'élevage, apprenant du même coup... "la patience et l'attente" [sic]. Bien obligé !
Et là, ça a fait tilt dans ma petite tête : L'évolution de l'Humanité avait donc conduit celle-ci à l'apprentissage de l'attente et de la patience. Comme l'évolution classique de l'enfant !
Je l'ai déjà écrit ici je crois : IL me semble qu'un des grands défis, peut-être même le plus grand défi de l'éducation, c'est l'apprentissage de la patience et de l'attente. Ainsi que l'apprentissage de la frustration associée. Combien de fois disons-nous au cours de notre vie à nos enfants Attends, Pas maintenant, Dans dix minutes, Ne sois pas si pressé, etc... ?
Apprendre à attendre, c'est apprendre à différer la réalisation de ses désirs, c'est apprendre que la dimension "temps" existe, c'est apprendre à vivre, peut-être. Tout simplement ! Bien des actes de "désobéissance" quotidienne sont sous l'emprise de ce "non-apprentissage", bien des actes de petite délinquance aussi : Je veux je prends. Je veux je veux tout de suite. J'ai envie je fais. Pour simplifier, Je ne supporte pas d'attendre !
Le désir humain est ainsi fait qu'il est aussi animal. Mais justement la différence avec l'animal est que l'humain peut apprendre à en différer sa réalisation. Peut. Et sans doute Doit.
Nous vivons dans un monde qui tourne de plus en plus vite. Parce que les humains marchent (enfin ! Courent ! ) de plus en plus, dans lequel l'immédiateté est de mise. L'urgence a pris le pas sur la pause et la réflexion. Agir avant de penser. Agir pour NE PAS penser ? Réaliser avant de désirer, ne pas se laisser le temps d'attendre !
Si des séries comme Urgences plaisent ou ont tant plu, ce n'est sans doute pas par hasard, tant le temps se rétrécit.
A ce propos, savez-vous que le mot "urgence" est finalement très récent ? Si la langue latine le connaissait déjà sous sa forme urgens, dérivant de urgere (presser), le terme n'apparait en France qu'au XVIIIème siècle, mais jusqu'à la fin du XIXème n'est guère usité. Ce n'est qu'au siècle dernier qu'il devient pressant de l'utiliser, comme si urgence il y avait eu à qualifier le rétrécissement nécessaire du temps...
Et cela s'accélère ! C'est comme si le temps n'existait plus, du moins comme s'il s'agissait de s'en affranchir. Or parallèlement, il s'agit de s’affranchir de l'attente. Tout devient urgent. Tout est devenu urgent. Et en thérapie comme sur la route, la demande est d'arriver à destination le plus vite possible.
Il y a parfois difficulté pour le psychothérapeute à faire entendre à son patient que le temps "fait aussi les choses", que le temps existe (même si pour l'inconscient il est admis que non), que la "vitesse" de certaines routes est limitée, qu'on ne peut pas aller plus vite que la musique, les expressions sont nombreuses pour dire ce genre de choses. Le succès des thérapies brèves est à ce sujet éloquent. Comme s'il s'agissait là encore de bloquer, annuler, et pour tout dire maîtriser le temps.
Or cela ne marche pas comme ça ! Le temps existe. Et sans doute nos sociétés tentent de l'oublier. Et cela semble ne pas devoir s'arranger : L'enfant, dans sa quête de plaisir immédiat (fait son boulot, l'enfant) ne trouve plus guère de personnes en face de lui capables de lui dire sereinement Attends, apprends à attendre ! Parce que nous-mêmes, en tant qu'adultes, semblons oublier bien souvent cette vertu du désir qui est celle de prendre d'autant plus corps... qu'il n'est pas immédiatement réalisé.
A vos écrans plats, à vos i-phones et autres gadgets... La course est déjà lancée pour Noël, ce fameux temps où l'attente va bien être reléguée aux oubliettes... Je veux, j'achète. Je paierai plus tard !
Si je comprends bien, ce n'est pas cette année encore que j'aurais mon écran plat. Pfff
RépondreSupprimerC'est vrai que faire confiance au temps qui "guérit tout", ne semble pas être dans l'air du temps. Et dans le "vous paierez plus tard", l'état nous offre l'exemple parfait de la justification du surendettement !
RépondreSupprimerBel article de réflexion mon cher Psyblog.
bisoubisous
Pas d'accord avec le passage sur les thérapies brèves : on ne les appelle "brèves" que parce qu'auparavant, les thérapies étaient toutes... plus longues.
RépondreSupprimerN'oublions pas que le succès des thérapies brèves ne dépend pas que du gain de temps par rapport à une thérapie plus longue, mais aussi de leur efficacité : elles ont été développées pour maximiser l'efficacité, et si certaines pathos prennent des années à traiter/compenser, alors les thérapies expérimentales ne se permettent plus d'être brèves.
Alors brèves oui, mais seulement quand il est utile qu'elles le soient.
À bientôt !
Rhaaaa ! désolé de te contredire, cher Psychosomatix. Les "Thérapies brèves", puisqu'on les appellent ainsi, sont bien nées de l'illusion qu'on pouvait abolir le temps. Mon éducation / formation psychanalytique du moins me le font penser. Aller vite, le plus vite possible !
RépondreSupprimerCeci dit, Oui, il est possible de changer des comportements même si l'on ne ou n'a pas compris ce qui avait, dans l'histoire de la personne, avait amené à ces comportements auparavant non-désirés... C'est ce que je dis à mes patients parfois "Nous n'allons peut-être pas comprendre les choses, mais nous allons essayer de les changer".
Je n'en pense pas moins que le changement demande souvent du temps... qu'il faut savoir accepter, au risque de vouloir régler en deux coups de cuillers à pot ce qui a mis des années ... à s'installer.
j'ai cru comprendre que les thérapies comportementalistes TCC sont dites brèves parce qu'elles parviennent à régler des phobies en 6 ou 8 mois ....au contraire des psychanalyses qui peuvent durer 10 ans sans forcement qu'il y ait résolution de la phobie ...;)
RépondreSupprimerIl est certain que d'un point de vue psychodynamique les T.B soient contestables : tout simplement car si la dynamique y tient une place (dans l'analyse fonctionnelle des TCC, par exemple), elle n'y est que peu souvent la "manière" de résoudre ces problèmes.
RépondreSupprimerOn peut plutôt considérer les T.B comme du "think outside the box".
Cependant, j'aime à voir des thérapeutes TCC prendre aussi en compte le placebo inhérent aux thérapies dynamiques autrement que dans l'alliance thérapeutique - mais aussi dans la démarche de résolution du problème, par exemple en s'adaptant aux représentations/croyances du sujet. C'est l'image que j'ai d'un thérapeute "bref" complet, qui s'assure d'un taux de rechute amoindri au possible.
Pour faire une métaphore déroutante d'anachronisme, s'il y avait le pousse-pousse, on a inventé la calèche : ce n'est pas le même moyen, mais le principe est le même et la calèche est plus rapide. Mais la calèche n'était considérée comme rapide uniquement car le pousse-pousse dominait dans l'image du transport par défaut, et car on avait pas encore inventé la motorisation.
La calèche muscle moins le cocher mais lui évite de potentielles blessures, lui permet d'envisager le voyage d'une manière autrement pratique (changer une roue plutôt qu'attendre que la jambe se désendolorisse) et bien entendu elle arrive aussi à bon port.
(désolé, les métaphores du soir ne sont pas mes meilleures... ;D )
À bientôt !
(c'est moi, parfois j'oublie de passer en Nom/URL donc c'est le compte blogger qui s'affiche)
RépondreSupprimerLa patience...j'en ai une immense envers les autres, et aucune envers moi !
RépondreSupprimerPar contre aucune impatience concernant l'attente de tel ou tel objet convoité, ma vision des choses est loin de ces caprices d'enfant gâté version adulte.
L'attente en thérapie, la patience, le temps psychique si différent du temps chronologique! Qu'est-ce que je peux rappeler contre ça, quand à chaque "rentrée" je dis à ma psy "j'en ai marre ça fait x années que je suis en thérapie"
L'impatience comme un jugement envers moi-même!
Et puis aussi une phrase qui a bien fait rire un ami confident "j'en ai marre, j'ai pas que ça à faire d'aller mal" ;-)