"un petit mot sur mon blog"


"un petit mot sur mon blog"

Psyblog a posé son stylo le 5 juin dernier. Il est parti "ailleurs", pour une autre vie plus sereine et lumineuse.
Ce blog était pour lui une belle aventure d'écriture, de réflexion, d'émotion et de partage. Les commentaires de ses nombreux lecteurs en sont un témoignage chaleureux. Vos derniers mots tout particulièrement...
Continuez à le lire ou à le relire pour sa plus grande joie ailleurs...

mardi 31 janvier 2012

SAS

Quand on va visiter quelqu'un en prison, il y a le sas. Le sas ? LES sas. Vous savez, ces endroits entre deux, ces endroits où vous n'êtes nulle part, sinon entre deux quelque part.
Premier sas : La salle d'attente. Je veux dire "la salle d'attente pour être en droit d'attendre". Tu es là, avec plein d'autres qui attendent. Faut pas arriver en retard. Surtout pas. Parce que si t'arrives en retard c'est trop tard. Alors t'arrives un quart d'heure en avance. Et tu attends.
Tu attends que les agents de la pénitentiaire arrivent. Et tu fais la queue. Pour présenter ta carte d'identité et t'entendre dire un chiffre, un numéro, celui de la petite pièce où tu vas rencontrer celui ou celle à qui tu viens rendre visite.
Ensuite tu passes dans le vrai sas, celui qui est fermé à double tour côté rue et liberté, et côté prison proprement dite. 20 ou 30 personnes dans un tout petit espace. On dit un nom. Si c'est le tien, tu y vas. Si c'est pas le tien tu attends qu'on dise le tien. Quand le nom est dit et que c'est le tien, tu enlèves tes blouson, sac, chaussure, ceinture et tu mets le tout dans une machine qui t'avale tout ça et qui te scanne le tout que si ça sonne tu peux pas passer le scanner à ton tour mais en général ça sonne pas alors tu passes et tu récupères de l'autre côté tout ce que tu as laissé dans la machine.
Et nous voilà tous très serrés de l'autre côté de la pièce, autre sas de compression. C'est alors que si tu en as tu déposes le sac de vêtements que tu amènes à celui que tu viens visiter. Et tu attends.
La porte s'ouvre, avec un doux bruit de déclenchement électrique. Et tu te retrouves dans une cour. 20 mètres à parcourir, parfois sous la pluie mais que 20 mètres quand même. Et tu attends. Quoi ? Que le gardien, enfin, l'agent de la pénitentiaire rejoigne le groupe. La porte s'ouvre sur le cinquième sas. Alors tu entres dans une petite pièce toute en longueur. Avec, dans un coin, protégé par de grosses vitres que je suppose blindées, un agent entouré de dizaines d'écrans et de dizaines de talkies que tu peux toi-même regarder les écrans avec vue sur "l'extérieur".
Et tu attends. Et tu entres finalement dans "la prison". Autre petite cour. En fait tu es dans le no man's land, dans le entre deux, entre l'enceinte extérieure et celle intérieure. Pour la première fois tu vois des barbelés, des barbelés très sophistiqués, comme des lames de rasoirs serties sur des fils de fer en rouleau. Tu aperçois au loin deux miradors. Tu te dis qu'en cas de connerie ils doivent pouvoir te descendre au moindre clignement d’œil. Et tu attends encore.
Et tu entres dans une autre salle. Deux tableaux naïfs au mur. Quelques rappels sur du papier défraichi. Du genre Ne pas apporter aux détenus de boissons alcoolisées, du genre que si quelqu'un veut t'aider et se réclame du "Chemin du bonheur" (non Joelle je sais que c'est pas toi) c'est l'église de scientologie qui cherche à te recruter, du genre qu'il ne faut pas cracher par terre et bien se laver les mains pour ne pas transmettre des maladies.... Du genre.
Et là tu as tout le temps de lire. Tu as tout le temps d'attendre. Parce que, à moins de faire partie du premier groupe de visiteurs, tu attends... Tu attends que les détenus visités avant celui que tu vas visiter soient fouillés, des fois que malgré les multiples sas ils aient pu recevoir de leur visiteur un quelque chose d'interdit. Alors pendant que tu attends, les visiteurs d'avant attendent aussi. De l'autre côté de la vitre qui nous sépare dans la même pièce.
Une fois que les détenus visités avant ont tous été fouillé ("au corps", comme on dit et que j'imagine à peine ce que c'est, même si je sais qu'ils doivent entièrement se déshabiller), leurs visiteurs se voient libérés... dans la même salle que les visiteurs dont tu fais partie. Hooo... pas en même temps. Il a fallu avant que les portes s'ouvrent vers nos visités à nous et que la porte vers le "patio" se referme. Le patio, c'est un petit jardin de... 20 mètres carrés, avec des arbres et des buissons et des cannettes de bière et des détritus que tu te demandes comment ils sont arrivés là... Le patio donc, est au centre d'un couloir d'une vingtaine de cabines où tu vas enfin pouvoir rencontrer celui que tu es venu visiter.
Là tu entres dans la cabine du numéro qu'on t'a donné lorsque tu as remis ta carte d'identité dans le premier sas, pardon, le deuxième. La première fois, lors de ta première visite, tu es tellement stressé que tu as oublié ton numéro mais bon, les agents sont là, aimables pour te le re-donner.
Et enfin, enfin après une demie-heure/ ¾ d'heure d'attente et de passage de porte et de passage et sas et d'angoisse si tu es claustro... tu rencontres enfin celui que tu es venu voir, celui que tu aimes, celui qui est là, enfermé.
9 mètres carrés. Une table. Trois chaises. La lumière extérieure venant du hublot de toit. Un peu de vie à travers des peintures, des dessins sur les murs et quelques graffitis d'enfant ou d'épouses désireuses de laisser une trace... et deux hublots, l'un donnant sur l'intérieur de la prison proprement dite, l'autre sur le "patio".
Et une demie-heure pour dire ta peine, la sienne, la vie, les regrets, l'affection, l'amour, les larmes, la colère, ... et bien d'autres choses encore qui te semblent ridicules une fois que tu es sorti de là.

Et le détenu ressort. Et tu attends. Et tu passes dans le patio. Et tu te retrouves dans la dernière salle, séparé de ceux qui vont à leur tout visiter leur amour, leur fils, leur papa, leur copain... et tu attends... Tu attends ce que tu sais seulement quand tu y es : Que chaque détenu ait été fouillé et "blanchi"... Alors seulement tu peux sortir dans la petite cour / no man's land avec les barbelés en forme de rasoir. Les uns rient, d'autres sont graves, baissent la tête ou regardent le ciel. Souvent gris le ciel, même si objectivement bleu. Les  enfants continuent à jouer. Ça fait sourire les adultes. Heureusement qu'ils sont là, les enfants !
Et tu te retrouves dans la petite cour. Tu ne sais pas qui est emprisonné là... Il y a des grilles, des visages aux fenêtres derrières les grilles. Des visages de jeunes garçons, ai-je pu constater souvent. Tu entres assez rapidement dans le dernier sas. On te rends ta carte d'identité, tu prends éventuellement le sac de vêtement à laver que ton détenu visité t'a laissé... et tu attends. Tu attends que chacun ait récupéré sa carte, ses vêtements, éventuellement les choses qu'il n'avait pas le droit d'amener dans l'enceinte de la prison et ... tu sors. L'air. L'air libre. La liberté.
Tu vas à nouveau dans le premier sas récupérer ce que tu as laissé dans les casiers (cigarettes, clefs de voiture, téléphone...) et zou... tu files... tu files rejoindre ta voiture en te disant que c'est un mauvais rêve. Tu viens de passer trois heures hors du temps pour une demie-heure avec celui que tu aimes... et tu reprends ta voiture. Tu regardes le soleil ou les nuages ou les arbres comme si tu les découvrais pour la première fois, tu t'allumes une clope en te disant que même si t'en allumes cinq d'un coup personne te dira rien, tu vas au Casto ou au Casino ou dans n'importe quel magasin du coin et tu achètes une connerie en prenant conscience que tu as le droit de le faire, tu vas t'acheter un sandwich parce que tu en as envie même si t'as pas faim... et en regardant le mur de la prison, tu te dis que tu ne supporterais pas d'y passer ne serait-ce qu'une semaine.
Et alors tu as envie de vivre. Et tu te dis que la vie, vaut mieux en prendre soin. Et tu te prends à penser que celui que tu viens de visiter est décidément un pauvre con. Et tu te prends même à penser que même ceux que tu aimes tu peux les traiter de cons. "Petit" peut-être mais con quand même ! Et tu te prends à penser que même si tu sais la nécessité de l'incarcération des hors-la-loi, quand elle concerne l'un de tes enfants, ça te fait mal...
Pour voir et parler avec mon garçon, je dois et il doit accepter que j'en passe matériellement 9, de sas ! Et 9 pour le retour ! Et vendredi dernier, comme pour la première fois, cela m'est apparu insupportable, insurmontable. Au point que je ne sache pas ce jour si je serai capable d'y aller à nouveau. Même si je sais je j'y retournerai. Parce que c'est mon fils et qu'il est certainement plus en souffrance que moi et que je suis son père, quoi qu'il ait fait.

Positivement (et je sais être positif même si paradoxalement je sais aussi être très pessimiste), je me dis que les sas (étrange ce mot ! Sas, sasse?, ressasser...) sont aussi des passages. Des couloirs, des passages encore, vers "autre chose", vers du mieux on peut l'espérer. Comme un quelque chose entre deux états... Le sas peut être une traversée du désert, comme on le dit pour les artistes, les politiques, les tout-un-chacun qui perdent pied à un moment de leur vie. Mais ce peut être une traversée du désert salutaire, de celle qui permettent la résurrection, la rencontre, le mieux, voire le bien...

17 commentaires:

  1. ton billet est poignant: on vit chaque étape avec toi, jusqu'à la réflexion finale, tellement vraie!
    Merci de ce partage

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  2. Juste te dire que je pense très fort et très sincèrement à toi..
    Bises

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  3. De nos jours , il existe encore beaucoup de gens qui pensent que les prisons sont des palaces , que les prisonniers sont dotés de tous les équipements nécessaires , y'en a encore qui pensent ça ( regrettant peut être la fermeture des bagnes ..)
    Ce que tu vis , que tu décris avec justesse est poignant ,tant de précautions , tant d'attente , mais si peu d'humanité
    Je comprends qu'à chaque visite tu aie la boule au ventre , après et avant , mais c'est le "pendant " qui a le plus compté ... 30 minutes , c'est tellement court

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  4. Si tu passes par des sas c'est que tu es suspect, et moi qui te connais bien je comprends l'administration pénitentiaire.
    Il faut se méfier des gars qui ont l'air honnète.
    Ex: avant de rentrer chez moi je me fais sasser pour être certain que je ne vais pas circonvenir.

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  5. Merci Psyblog de me permettre de faire évoluer mes représentations sur ce qu'est l'univers carcéral.
    Je me rends compte que j'ai plein de clichés en tête à la lecture de chacun de tes textes qui racontent tes passages en prison.
    Tu m'aides à "penser" ce sujet tabou et "impensable" dans la vie de tous les jours. MERCI !
    Je vous embrasse toi et ton fils

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  6. J'ai déjà rendu visite à un détenu, il y a 30 ans... j'entends encore les grosses clés tourner dans les serrures, les lourdes grilles se fermer le long des couloirs et les cris des détenus qui se parlaient d'une cellule à l'autre à travers les murs... froid dans le dos.
    Cette prison trop vétuste n'existe plus, heureusement.
    J'ose à peine penser "et si c'était ton fils"
    Je compatis... courage psy !

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  7. Tu vas t'acheter un sandwich même si tu n'as pas faim...
    Je n'achetais jamais de sandwich, en ville, "avant". J'en achète chaque fois que je vais à Saint-Gilles, à présent.
    Une prison n'est pas l'autre, les formalités ne sont pas identiques, mais je retrouve l'ambiance de Saint-Gilles dans ce que tu décris.
    Et je me retrouve, moi aussi,à traiter de "grosse biesse" (en wallon de Liège, parce qu'il est de là-bas) ce gamin qui m'est presqu'aussi cher que les miens.

    Tu retourneras là-bas, derrière les murs et les barbelés, parce que tu l'aimes, ton fils. Et je suis sans doute une "grosse biesse", moi aussi, d'oser dire ça, alors que je craque, et que, pour moi, il ne s'agit même pas de mon enfant.

    J'ai pensé à vous deux, cet après-midi, dans le sas de saint-Gilles...

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  8. parce qu'hier à nantes il y avait un cercle du silence pour les prisonniers.
    pour que les prisonniers puisse vivre décemment!

    je me baladait quand j'ai vu sa, les gens n'étais pas nombreux, mais je l'ai es accompagné, dans le froid pendant 1h. 1h de notre liberté pour tenté de faire quelque chose.

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  9. Gros gros soupir ! Et bien voilà, non je n’imaginais pas cela comme ça. En fait, je n'imaginais rien. Mais, en te lisant j'ai senti la chair de poule sur mes bras, et je pense à tous ces gens qui subissent l'enfermement. J'ai souvent pensé que la mort était préférable à une peine à perpétuité... Mais on pense des choses comme cela lorsqu'on n'y connait rien.
    Je pense très fort à toi et à ton fils.
    J'ai effectivement découvert que le bouquin du sc...ientologue s'appelait comme ça, après avoir ouvert mon blog. Petite satisfaction je suis devant eux dans les recherches googlesques.
    Bisous

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  10. Ton récit m'a tordu l'estomac, je me voyais faire le même parcours pour voir un de mes fils et j'ai compris ta douleur...c'est sur que je le ferai tout comme toi parce que je les aime mais quelle souffrance....je t'embrasse très fort

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  11. Pourquoi n'y a t'il pas "émouvant" dans les réactions ? Des bises
    Sympho2

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  12. Arf.. J'ai le froid sur moi.. Et j'ai mal.. Mon ami est allé voir son fils, il y a quelques jours.. Cela faisait plusieurs mois qu'il n'avait pas réussi à retourner le voir.. Mon ami n'est pas comme toi.. Il se mure dans le silence.. Bref, le soir, il m'a écrit, j'ai vu (soon fils), c'était tip top.. Et trois heures plus tard, il a sombré.. Car malheureusement, il a une addiction.. Voilà, je me doute qu'il a eu le contre-coup de cette visite.. En te lisant, je comprends mieux ce qu'il peut ressentir.. Je me sens impuissante.. J'ai l'impression que mes derniers mots pour lui ne l'ont pas aidé et depuis il fait le mort.. Mais je continue à lui laisser des messages.. Je ne sais pas quoi faire d'autre..
    Bises et pensées pour toi..

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  13. J'ai pris mon après-midi pour pouvoir venir. 1 heure de route...Je suis dans les temps... heureusement
    Les quelques enfants courent partout, une chaîne en argent en guise de porte-tétine, Les femmes sont apprêtées,les mères fardées et l'air grave. Les hommes sont plutôt rares.
    Certaines discutent dans un coin d'autres se mettent à l'écart...Chacun trimbale un sac de fringues
    Lorsqu'il arrive on s'agglutine près de la vitre..
    Je donne un nom à l'hygiaphone en tendant ma carte d'identité. Il s'en saisi et me donne un chiffre : -"3 !"
    Tour à tour, chacun s'adresse à la cabine échangeant un rectangle bleu contre un numéro.
    Le signal du départ est donné. Le groupe s'entasse dans une minuscule salle. Une à une les "familles" sont appelées. laissant sacs et objets métalliques sur le tapis en passant le portique. Parfois une personne y repasse à leur demande.
    Une porte s'ouvre et le groupe passe dans une cour intérieure.
    On attend tout le monde. verrouillage de la première porte, ouverture de la suivante...
    Les portes de métal sont lourdes et froides..On pénètre un couloir...
    Nouveau regroupement , nouveau verrouillage, nouvelle porte.
    De nouveau à l'air libre... entre deux murs de béton de 4 mètres de haut surmontés de barbelés...
    encore deux portes, un sas, et l'on arrive dans le couloir circulaire.
    Je me dirige vers la porte affublée du chiffre 3.
    Déclic ! je peux entrer...
    2 m sur 3, une porte à l'autre bout...
    Ma porte se ferme... j'entends des bruits dans le couloir, vois des têtes passer...
    Sa porte s'ouvre. Il entre.
    Une bise, une accolade...
    Nous avons trente minutes pour discuter.
    Et la prochaine fois que je verrai mon frère, le rituel sera le même.

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  14. ah oui, j'oubliais "papa" ... moi aussi il m'est arriver d'écrire sur le frangin, comme ce texte ci-dessus ;-)

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    1. Je vois, fils, je vois et je lis...
      Merci à toi...

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    2. J'avais oublié les "famille"...
      C'est vrai que les "de la pénitentiaires" n’appellent pas des gens, mais des "familles".
      Autant cela peut être vécu comme un signe d'affection, comme témoin de regroupement, d’appartenance à une "famille", autant cela peut être vécu comme témoin d'une a-personnalisation, voire d'une dépersonnalisation. Mais c'est ainsi c'est vrai. "Famille machin" dit l'agent... et le représentant de la "Famille machin" passe le portique.
      Un jour, en visite, je me suis retrouvé avec l'un de mes patients. Lui venait visiter son fils, moi le mien...
      Étrange rencontre.

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  15. Comme j'ai déjà parlé de mon filleul ici, je me permets de dire qu'il est en liberté conditionnelle depuis une semaine. Et que j'ai la frousse.

    Psyblog, as-tu des anciens détenus parmi tes patients ? Parce qu'on parle quelquefois du "choc carcéral", mais jamais de celui de la libération. Et c'est bien un garçon "en état de choc" que j'ai "récupéré" sur le trottoir, devant la prison. Un garçon qui reste depuis "à côté de ses pompes", sonné, même s'il fait tout ce que la justice lui demande.

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